En 2019, la femme politique Clémentine Autain dédie à sa mère la comédienne Dominique Laffin et à son absence un livre, “Dites-lui que je l’aime” (qui emprunte lui-même son titre à un film de Claude Miller de 1977 où Dominique joua).
Quelques années plus tard, Romane Bohringer, elle-même abandonnée très jeune par une mère, Marguerite Bourry, qui mourut peu après, se reconnaît si bien dans la douleur de ce vide fondamental dans sa vie qu’elle veut adapter l’ouvrage pour le cinéma.
De fil en aiguille, un parcours commence qui la ramène à sa propre histoire. Finalement, elle se résout à fouiller un passé qu’elle avait jusque là tenu à l’écart, à enquêter sur l’existence de Maggy (cette femme belle, mystérieuse et solitaire, née au Vietnam, elle-même abandonnée par ses parents adoptifs dans un orphelinat) et à s’en faire une nouvelle image.
Peu à peu, tant bien que mal, en “tissant une gémellité” entre son histoire et celle de Clémentine et en retraçant, enfin, un passé qu’elle avait jusque là tenu à l’écart, la comédienne et réalisatrice parvient à réinscrire enfin l’enfant sans maman qu’elle fut dans une famille.
Fred a rencontré Romane Bohringer et Clémentine Autain à Cannes pour discuter du résultat, un autre film intitulé “Dites-lui que je l’aime“ qui a été présenté au 78e Festival de Cannes parmi les séances spéciales.
Sur l’évolution du projet d’une adaptation à une excavation personnelle
Romane Bohringer : J’ai déjà fait de l’autofiction avec L’Amour flou, mon premier film (où je filmais mes enfants, je me filmais moi…). […] J’avais envie pour mon deuxième film de m’éloigner de ça et de faire de la fiction, donc quand j’ai lu le livre de Clémentine, je me suis dit : “Tout est là, tout est dans le récit de Clémentine ! Tout ici (ce qu’elle raconte, chaque scène évoquée, chaque scène de l’enfance, cette femme adulte dont elle parle…) me rappelle…”. Enfin j’étais partout dans ce livre, et donc je me suis dit “Voilà : je vais adapter le livre de Clémentine”, et je suis partie dans une adaptation assez littérale du livre, [mais] les gens qui me connaissent m’ont dit : “C’est beau, mais le vrai film se cache”.
Au début, j’ai beaucoup lutté, parce que je n’avais vraiment pas envie […], je ne voulais pas être dans le film : je voulais filmer des actrices et des acteurs, une histoire, et mes producteurs et mon coscénariste Gabor [Rassov] ont insisté. Gabor me disait : ” Tu ne peux pas faire ce film sur “la mère’, sur les mères, sans évoquer la tienne. Je connais ton histoire et si tu ne le fais pas, tu le regretteras toute ta vie, le film ne sera pas complet. Et puis on a commencé à voir à quels endroits les mots de Clémentine, les scènes qu’elle décrivait, présentaient des parallèles avec moi, et on a commencé un travail d’enchevêtrement assez technique [entre nos deux histoires].
C’était très ambitieux d’arriver à faire exister à la fois Clémentine, à la fois moi et à la fois nos maman. Je ne voulais pas que l’histoire de Clémentine et Dominique ne soit qu’un tremplin pour raconter la mienne, Je voulais nous quatre, et donc voilà, ça s’est imposé à moi, ce film hybride qui est un peu fiction, un peu documentaire, et c’était aussi ma manière d’exprimer toutes les choses que j’aime au cinéma. Je voulais essayer de faire cohabiter dans un même récit la fiction… et en même temps je suis obsédée par la véracité et par la vérité au cinéma, donc je voulais filmer les véritables personnes qui ont quelque chose à dire sur cette histoire : le papa de Clémentine, mon papa, mes frères et sœurs, et donc j’ai fait le pari que ces deux récits à la fois fictionnels et documentaires pourraient coexister.
Clémentine Autain: “Ce qui est fou, comme je n’ai lu que le dernier scénario, pas celui de l’adaptation littérale, et pour moi c’était évident que c’était ça que Romane allait faire. Je n’ai jamais pensé qu’elle ferait autre chose. J’étais sûre que c’était ça…”
Sur l’influence qu’a pu avoir le désir de réagir à l’absence de la mère dans la construction des femmes accomplies que Clémentine Autain et Romane Bohringer sont devenues
Romane Bohringer: “Je sais qu’immédiatement, très tôt, très petite, tout ce qui ressemblait à un plateau de tournage où j’accompagnais mon père, ou à un plateau de théâtre, ou à des loges, me faisait penser au ventre d’une mère. J’ai aimé ce métier passionnément, et très tôt, parce que j’avais l’impression, quand je rentrais dans un théâtre, quand je rentrais dans une loge, etc, que je rentrais dans un lieu maternant, protecteur. Une équipe de film pour moi, c’était… comme une maman… Donc ce vide, je l’ai sûrement beaucoup comblé en choisissant ce métier, c’est-à-dire que j’avais l’impression, vraiment, que ces espaces de tournage, que ces équipes, étaient comme des familles d’adoption qui me prenaient dans leurs bras. Un texte, un personnage, m’accueillait dans ses bras…”
Clémentine Autain: “Il est très probable que la colère qui m’habitait se retrouve dans mon engagement politique, mais pour d’autres, au nom d’autres. Le lien que je peux faire, c’est que j’ai voulu faire autre chose, pas le même métier, m’inscrire dans un autre univers. Mon père le chanteur Yvan Dautin me dit toujours qu’on fait le même métier, et je lui dis toujours : “Non, je ne joue pas”. Et il me dit : “Mais si, c’est aussi un travail de mise en scène, et c’est aussi raconter le monde”. Quand on est artiste, on raconte le monde, et quand on fait de la politique aussi : on raconte le monde. J’ai cru échapper à cette filiation mais en réalité, il faut regarder les choses en face, il y a bien une filiation.”
Plot
Romane décide d’adapter pour le cinéma le livre de Clémentine Autain consacré à sa mère. Ce projet va l’obliger à se confronter à son passé et à sa propre mère qui l’a abandonnée quand elle avait neuf mois.